lundi 2 avril 2012

E 03


Malgré un mal de tête soutenu, Taupin était debout à l’heure et de très bonne humeur. Il descendit dans la cuisine où l’attendait sa mère.

- Ah… Si tu savais, j’ai passé une merveilleuse soirée.
- Ah oui ? répondit-elle, sur un ton blasé.
- Quel homme. Non, mais quel homme !

A peine maugréa-t-elle de vagues borborygmes d’intérêt à la conversation, alors qu’ils entamaient leur petit déjeuner.

- … Et figure-toi qu’il a écrit des pièces de théâtre… Dit-il, non sans une forme de fierté.
- … C’est quand même étonnant la vie. On se croit seul, un peu à part, et on rencontre, par hasard, quelqu’un avec qui, immédiatement, les choses coulent de source. Où l’on aurait pratiquement plus besoin de parler… Tu vois ?... Quel bel homme.
- Dis donc !
- Quoi ?
- T’aurais quand même pas viré ta queutille au bout du compte ! … Y a déjà bien assez de rumeurs comme ça…

Sous l’émotion, elle avait retrouvée son accent typique. Car elle parlait peu, madame Taupin. Ce n’était ni par pudeur, ni par respect et encore moins pour économiser sa salive. C’était afin de ne point trop se trahir par ses longs R, qui roulaient sur sa langue et révélaient des origines qu’elle considérait saumâtres.

Taupin rougit. Cela devait faire une bonne dizaine d’années que sa mère ne lui avait pas parlé sur ce ton.

- Mais… Qu’est ce que tu racontes ? Ca ne va pas non ?
- Ouais… Je dis ça, enfin… Moi je dis : Méfie.

Embarrassée et dépassée par son manque de pudeur, elle lui tendit le porte-monnaie contenant les trois sous. Taupin partit sans demander son reste. Mais ces paroles restèrent longtemps tapies dans son corps. Une mouche y avait pondu ses œufs.

Les jours passèrent sans nouvelles de Stichelton. Taupin devint maussade. Tous les jours il allait traîner aux alentours des bouquinistes mais ne voyait pas la silhouette du grand homme. Il n’avait même plus l’envie de fouiller dans les rayonnages de livres et, sans trop savoir pourquoi, se sentait triste.

Parfois, le soir, il faisait un détour près de l’auberge où ils avaient dîné, mais n’osait jamais y entrer. Il avait peur d’être ridicule, qu’on se soit moqué de lui. Sa mère remarqua ce changement d’humeur mais n’en fit aucun cas face à lui. Elle commençait à s’inquiéter et regrettait ses paroles. Elle préférait voir son fils heureux quoi qu’il en fut et quoiqu’elle put imaginer. Au diable les commérages du voisinage !

 La neige commençait à fondre, le soleil à percer le ciel gris, et le téléphone retentit.

- Etablissement Brisebard. Antoine Brisebard. Je vous écoute. Dit monsieur Brisebard portant sur le visage toute la fausseté de la mercatique.
- … Oui… Oui… Oui… Je vous le passe, cher monsieur.

Antoine Brisebard, masque tombé, mit la main sur le combiné et dit :

- Taupin ! C’est pour vous.
- Pour moi ?

Taupin se saisit du combiné qu’il manipulait avec précaution tant il n’était pas habitué à la chose.

- Allo ?

Une voix caverneuse et enthousiaste se fit entendre.

- Taupin ?! Comment ça va, mon vieux ? C’est Stichelton.
- Oh, monsieur Stichelton, comment ça va ?
- Monsieur ?! Alors cela fait des semaines que nous ne nous sommes vus et vous commencez par m’insulter ?
- Ah non, non… Excusez-moi Stichelton, mais effectivement, cela faisait longtemps que je n’avais pas eu de vos nouvelles et je…
- Oui, je sais. J’ai dû partir toutes affaires cessantes. Histoire de famille… Vous êtes libre pour déjeuner ?
- Heu… Il regarda Antoine Brisebard qui n’en perdait pas une miette.
- Oui. Oui, bien sur.
- Parfait. Rendez-vous au coin de la rue du Moutonnier et de la rue Gobi. A 12h30. Ca vous va ?

Stichelton énonça cette phrase sur le ton de la confidence, du secret. Ce qui ne manqua pas d’étonner mais surtout de séduire Taupin.

- Oui, très bien.
- A tout à l’heure.  Stichelton raccrocha.

Taupin était, bien évidemment, à l’heure. Mais personne ne se trouvait là. D’ailleurs, il ne comprenait pas bien la raison du lieu de rendez-vous. Il était dans un quartier en pleine rénovation, suite aux dégâts causés par la guerre. Tout n’était que chantier et une angoisse commençait à l’étreindre.

- Pssst… Pssst Taupin…

Taupin aperçut le visage de Stichelton dépassant d’une palissade de bois où l’on avait fait une trouée. Il s’approcha de lui.

- Ah. Stichelton, je suis bien content de vous voir.
- Moi aussi. Venez. Et faites comme je vous dis.

Stichelton l’attira à lui. Ils étaient sur un chantier, et étaient cachés derrière les tentes de repos ou d’outillages des ouvriers.

- Mettez ça.

Stichelton lui tendit une blouse en toile de jute et un calot de maçon.

- Mais qu’est ce que…
- Venez avec moi.

Stichelton était vêtu des mêmes attributs probablement « empruntés » dans une tente adjacente grâce à la complicité d’un troisième larron.

Ils marchèrent comme si de rien n’était au milieu de gros bras de deux fois moins (au moins…) leurs âges. Stichelton sifflotait un air dédié à la lutte des classes, croyant passer inaperçu. Il saluait parfois un ou deux ouvriers, qui les regardaient avec perplexité, d’un « camarade » franc et chaleureux.

- C’est un ami d’un ami qui m’a indiqué cet endroit… Il paraît qu’il n’y a pas mieux. 
- Pas mieux ? Mais, de quoi vous parlez ?
-  De boudin, mon vieux. De boudin…

Taupin crut voir un instant Stichelton se pourlécher les babines sous sa moustache.

Ils approchèrent d’un grand brasero où de longs chapelets de saucisses au sang grillaient et gonflaient sous la chaleur intense des braises. Erectiles, gorgés de sang et de graisses, prêts à éclater, les boudins noirs vaporisaient, selon le gré du vent, une fumée épaisse et gourmande.

Stichelton, suivi de Taupin, se mit dans la queue et ils attendirent leur tour afin d’être servis. On leur présenta à chacun un sandwich réalisé dans une baguette fraîche et craquante. Il contenait une compotée d’oignons frits, quelques fines tranches de gratin de pommes de terres et un boudin suave et bien grillé.

            - Merci. Dit Taupin

Ils s’éloignèrent discrètement mais non sans une certaine vivacité.

           - Hé ! Vous là !!!
           - Ne vous retournez pas. Dit Stichelton en accélérant le pas.
           - Hé vous !!! Ne bougez plus ! Vous vous croyez où ? A la gamelle publique ?

Voyant que les deux comparses n’avaient aucune envie de s’arrêter et de restituer les sandwiches aux boudins, l’homme, qui devait certainement être une sorte de contre-maître, s’engagea pour les poursuivre.

         - Crémiou de veau de crémiou de veau de crémiou de vaches !!! Je vais vous larder les oreilles moi mes gaillards.
          - Sauve-qui-peut des cons, Taupin !!! Hurla Stichelton.

Ils prirent leurs jambes à leur cou et coururent comme si leur vie en dépendait. Le contre-maître ne dépassa pas la palissade faisant office de clôture au chantier.

         - Revenez me voir un de ces quatre ! Crémiou de voyous !!!

A bout de souffle, épuisés et vidés, ils arrêtèrent enfin leur course. Taupin n’avait pas connu un tel effort physique depuis ses quinze ans.

        - Ah… Nom de Dieu… Nom de Dieu, Taupin !

Ils partirent d’un éclat de rire de collégiens. Heureux de leur méfait. Pour un peu, ils auraient tiré les sonnettes des bourgeois.

       - Alors ? On est pas vivants, là !?

Taupin ne répondit pas et mordit à pleine dent, les yeux rieurs et le regard espiègle, dans son sandwich encore chaud. Stichelton le regardait, avec un bonheur non feint, enfourner de larges bouchées.

      - Qu’est ce que vous en pensez ?
      - Fabuleux !
      - Hahaha !!! Allez. Finissons notre boudin et allons boire une petite bière pour nous rincer.

lundi 19 mars 2012

E02


Taupin avait naturellement peur d’être en retard, comme il avait peur d’être trop en avance. Le pire serait d’être à l’heure dite et précise. Stichelton aurait pu croire que le bougre attendait près de la porte, dans le froid… Situation risible s’il en est. Pourquoi n’arrivait-il pas à être un peu naturel ? Pourquoi s’embarrasser de constantes et dispensables préoccupations ? De quoi avait-il peur finalement ?

Quoiqu’il en soit il accélérait son pas et entra dans l’auberge à 20h48. Stichelton n’était pas là.

Un septuagénaire l’accueillit. Il portait encore beau. Vêtu d’une chemise blanche, cravate club au nœud impeccablement réalisé et tablier en toile de jute. Une barbe épaisse et sombre, couvrait son visage lui donnant un air d’artiste rude et intransigeant non sans une certaine forme de préciosité. L’homme l’accueillit avec une chaleur sincère.

- Bonsoir monsieur.
- Je… J’ai rendez-vous pour dîner avec Monsieur Stichelton.
- Très bien. Installez-vous  là…Vous voulez boire quelque chose ?
- Heu…
- Un petit blanc… ? Avec quelques tranches de saucisson… ?
- Soit.

L’auberge ressemblait à une tanière. Refuge improbable et clandestin pour une poignée d’hommes désirant fuir la frénésie de la ville.

Pas plus d’une dizaine de petites tables aux nappes blanches et finement brodées. Quelques tableaux, des portraits, familiaux probablement, étaient  accrochés au mur. Une lumière douce et tamisée ainsi qu’une cheminée, où crépitait doucement trois bûches, complétaient le décorum.

Dans l’âtre était suspendu quelques bêtes, palombes et cailles, suant doucement leurs graisses qui coulaient le long de ficelles pour finalement nourrir de larges tranches de pain qui grillaient tendrement. Trois cocottes reposaient également au coin du feu et divers fumets s’en dégageaient. On pouvait sentir des odeurs de choux, navets, carottes, ventrèche qui se mêlaient intimement les unes aux autres et enrobaient la pièce tel un cocon chaleureux et douillet.

Des bouteilles de divers vins patientaient sur une table avenante. Des vins que certains auraient dit confidentiels, d’autres, plus aptes à la romance, les auraient qualifiés de secrets.

Stichelton entra dans l’auberge, il était en retard de 20 bonnes minutes, mais cela n’avait pas l’air de le chagriner plus que de mesure. Il fit une accolade au septuagénaire, et alla s’asseoir face à Taupin.

- Bonsoir, Taupin. Vous avez trouvé facilement ? J’espère que je ne vous ai pas fait trop attendre…
- Pas le moins du monde, ne vous inquiétez pas… J’aime bien cet endroit...
- Oui, hein…

Stichelton huma la pièce et sortit de sa veste un couteau de poche dont la lame faisait la longueur de sa main. On lui apporta une serviette pliée dans un rond à son nom.

- Biryani ? Qu’est ce qu’il y a ce soir ?
- Le chef nous a préparé un pâté en croûte.
- Parfait. Vous avez des grousses ?
- Non, mais il y a du pigeon en cocotte avec des petits pois ou des palombes rôties.
- Des ortolans ?
- Une douzaine…
- Nous les prenons tous. Sur des croûtons.
- Ca marche.
- Et… Ses effluves flattant mes narines, nous allons prendre de ce Brassica Oleracea qui mijote dans l’âtre… Bien cuit, bien confit et en quantité... Dit Stichelton, tout en nouant sa serviette autour du cou.

Et ils parlèrent. Devisant sur tout et rien.  Ponctuant leur conversation de commentaires sur les mets du repas.

- Mmmh… Il y a de la grive dans le pâté…
- Oui… On sent bien le goût…  Avec une goutte de Chartreuse peut-être… Répondit Taupin.
- Ah oui ! On la sent aussi la Chartreuse…

Outre les plaisirs de la table et ceux de l’évasion procurée par la lecture, ils avaient ceci en commun qu’ils se sentaient appelés par la nostalgie d’une vie qu’ils n’avaient pas eues. L’envie de s’inventer un autre destin.

Leurs âges respectifs leur paraissaient être de plus en plus une notion totalement abstraite. Ils ne savaient dire s’ils étaient trop vieux ou trop jeunes…

Stichelton, dans un bruit de succion, avala les viscères brûlants puis enfourna l’oiseau gros comme son pouce avec un bonheur de curé défroqué et soiffard.

- Vous savez, mon cher Taupin, nous ne sommes pas finis… Nous pouvons encore participer au grand projet…
- Le grand projet ?
- Oui, le vrai, le seul, l’unique !!!
- Et quel est-il ?
- Le savoir mon vieux… Le savoir. Que diriez-vous si nous allions à la découverte de mystères, énigmes, trésors, dont regorge notre monde plongé dans un obscurantisme crasse…
- Mais… De quels trésors vous parlez ?

Stichelton afficha un sourire de circonstance.

- Je vous en parlerai en temps et heure… Mieux ! Je vous montrerai !


vendredi 16 mars 2012

E01


C’était une époque élégante, mal famée et étrange à la fois. Glorieuse et perverse.

Victor Taupin était né à la saison des morilles.

Une quarantaine d’années plus tard, il exerçait le métier de tailleur et travaillait dans la boutique de Monsieur Brisebard.

Vivant seul avec sa mère, Monsieur Taupin était un homme courtois, discret, qualifié prudemment par le voisinage de vieux garçon. Une vie simple, dévolue à son travail, au confort de sa mère et, seule fantaisie, aux livres, comme nous le verrons par la suite.

Les Taupins, mère et fils, vivaient assez chichement et, quoiqu’on en dise, ils comptaient leurs sous, du moins la mère. Ainsi le petit appartement, situé au 4 de la rue de la mimolette, ne reflétait rien d’ostentatoire ni même de superflu. De toute façon, Madame Taupin ne supportait pas les « m’as-tu-vu ». Et, de toute façon, il n’y avait pas de « m’as-tu-vu » dans le voisinage, même après avoir dépassé plusieurs pâtés de maisons. Ce n’était vraiment pas le genre du quartier.

Madame Taupin née Baptistine Fleuriot était de ces vieilles dames que l’on imaginait sans âge. Petite, le corps sec et perpétuellement habillée de noir depuis la mort de Monsieur Taupin père. Elle partageait avec son fils le goût pour la bonne chair et, contrairement à lui, restait éternellement svelte malgré un appétit vorace.

Monsieur Taupin, lui, affichait un embonpoint qui ne le mettait pas à l’aise. Non pas par coquetterie, mais par crainte que l’on ne croie que sa mère se sacrifiait afin de pouvoir subvenir aux besoins d’un fils trop gourmand, à la brioche facile. Et ceci, à nouveau, n’était décidément pas le genre du quartier.

Les journées passaient, réglées comme un métronome. Il se levait à 6h30, préparait du café, se lavait, s’habillait et partait à 7h afin d’arriver à 8h à la boutique de monsieur Brissebard, qui, comme tous les matins, regardait sa montre dés qu’il  apercevait au coin de la rue du Moutonnier la silhouette dodue de Monsieur Taupin. Le magasin ouvrait alors ses portes. A 12h30, Monsieur Taupin prenait sa pause déjeuner, puis il revenait à 14h et enfin fermait boutique à 18h30. Il rentrait chez lui à 19h30 et dînait à 20h pour finalement se coucher vers 23h.

Mais, intéressons nous de plus près à sa pause déjeuner, puisque c’est durant ce laps de temps que sa vie va basculer.

Chaque matin, Madame Taupin confiait invariablement à son fils un petit porte-monnaie sur le seuil de la porte du 4, rue de la mimolette. Ce porte-monnaie contenait 3 sous. Pas un de plus, pas un de moins. Ils étaient destinés à l’achat d’une gamelle de soupe ou d’une quelconque collation afin de le sustenter à l’heure du déjeuner. Mais monsieur Taupin n’était pas si goinfre que l’on aurait pu croire.

Tous les jours, il passait devant boulangerie, gargote et autres commerces de bouche sans même leur jeter un regard. En vérité, il se rendait à pas pressés sur les quais qui longeaient le canal, et où se trouvaient les bouquinistes de la ville. Là, quasi fébrile, il fouillait parmi les rangées de livres, heureux à l’idée de trouver une belle édition d’un de ses romans fétiches ou de découvrir un auteur qui pourrait devenir un ami. L’odeur de ces vieux livres le grisait et il lui était difficile de résister à l’appel du papier, des couvertures illustrées, de l’objet en lui-même. Une si petite chose pouvant contenir un si grand monde.

Au gré de ces excursions il avait naturellement fait la connaissance d’autres personnes qui partageaient sa passion. Mais ceux-ci étant essentiellement des collectionneurs, activité dont il ne pouvait souffrir, il restait en retrait de ces conversations éclairées dont il ne percevait que de vains échos compassés.

Et… Ce jour là... Cela devait être un jeudi mais peu nous importe, quelqu’un s’adressa à Monsieur Taupin.

- Ah oui. C’est une jolie édition…

En effet, la voix ne se trompait pas. Monsieur Taupin avait déniché une édition de poche, d’un roman d’aventure datant sûrement d’avant le Second Empire, et peut-être d’avant les Sages d’Aeris. Un petit roman qui n’était pas un classique, mais qui avait son charme et une certaine dose d’exotisme.

Monsieur Taupin se tourna pour jauger de l’homme à qui appartenait cette voix chaude, caverneuse et que l’on devinait prête à tous les éclats.

Il était grand, élancé et portait une élégance toute naturelle. Il affichait une barbe rase, légèrement grisonnante qui dévoilait un âge proche du sien. Un feutre au large bord couvrait sa tête et des yeux bleus vifs, perçants et amusés le sondaient. Ses vêtements, et Monsieur Taupin connaissait son affaire, semblaient de bonne qualité. Robuste, chaud, à l’épreuve du temps. Il en déduit que l’homme se préoccupait de son apparence mais savait être raisonnable, ce qui était naturel par les temps qui courent.

Monsieur Taupin se sentait en confiance et eu immédiatement une forme d’affection pour ce parfait inconnu. Il se décida à sourire et à lui répondre.

- Oui, c’est vrai… la préface y est particulièrement intéressante…
- Ah ? De qui est-elle ? Dit l’homme avec réel intérêt.
- Du docteur Poussin.
- Permettez ? Dit l’homme tout en mettant une paire de lunette demi lune sur son nez.
- Je vous en prie. Répondit Monsieur Taupin en lui tendant le livre.

L’homme commença la lecture de la préface et, tout en lisant, s’adressa à Monsieur Taupin.

- Ce Poussin est étonnant… Dommage qu’il n’ait pas été plus discipliné…
- Oui, c’est vrai…

L’homme regarda alors Monsieur Taupin et lui rendit le livre, souriant avec une étonnante franchise.

- Un chocolat ? lui dit-il en tendant une plaquette entamée.

A cette question Monsieur Taupin se sentit tel un enfant. Il eut, l’espace d’un instant, l’image de sa mère lui sermonnant que l’on ne doit pas accepter les friandises des croquignols.

- Noir ?
- 80 %... Il vient de la maison Cassagne.
- Très bonne maison…

Monsieur Taupin croqua dans le carré. L’homme dégustait son morceau de chocolat l’air heureux. Il regardait les nuages gris de cette fin d’automne.

- Stichelton. Tugdual Stichelton.  Lui dit-il tout à coup, tendant sa large main vers Monsieur Taupin.
- Taupin. Victor Taupin. 

Ils se serrèrent vigoureusement la main et ç'en était fait du destin de Monsieur Taupin. Jamais, il n’aurait pu se douter qu’une longue amitié allait commencer et que de douces aventures l'attendaient.

- Bon alors ? Vous le prenez cet imprimé ? Dit le bouquiniste.
- Oui, oui. S’empressa de répondre Monsieur Taupin.

Il ouvrit son porte-monnaie, légèrement gêné, sous le regard de Stichelton et tendit deux sous au commerçant.

- Bon et bien au revoir… Dit Taupin non sans un certain embarras.
- Au revoir.

Monsieur Taupin commença à partir puis se ravisa, il se tourna vers Stichelton.

- Je vais rejoindre mon travail, dans le quartier de la serrurerie. Peut-être voulez-vous m’accompagner ? Nous  bavarderons en chemin… Si c’est votre destination bien sûr…
- Mais volontiers. Je travaille moi-même dans le quartier de la serrurerie. Allons-y !

Les premiers jours de novembre annonçaient un hiver particulièrement rude. Les gens commençaient à faire des réserves de bois et de charbon, d’huile et de farine. Au coin des rues, les vendeurs de marrons chauds ou de saucisses grillées faisaient leur apparition.

C’était ce moment là, le retour vers la boutique de Monsieur Brisebard, qui était le plus dur. Souvent, il regrettait son achat du jour en pensant qu’il aurait mieux fait de manger une bonne saucisse grillée avec quelques patates gratinées. Mais cette fois, il n’entendait pas l’appel de son ventre, et commençait à sérieusement apprécier ce grand dadais de Stichelton.

- Et vous faîtes quoi dans la vie mon cher Taupin ? Vous permettez que je vous appelle Taupin ?
- Je vous en prie… Je suis tailleur… Tailleur pour homme.
- Peste ! Voilà un métier fort sympathique. Vous avez votre propre boutique ?
- Non, je travaille pour les établissements Brisebard.
- Brisebard vous dîtes ? Pas Antoine Brisebard…
- Lui même… Vous le connaissez ? Répondit Taupin, non sans crainte.
- Oui. Enfin, je le connais… Tout est relatif… C’est un ami de mon patron. Je travaille pour Fernand Suquet. Vous connaissez ?
- Non, je ne crois pas…
- Fernand Suquet : Le matériel moderne de chais. Tout ce qui concerne le vin. Téléphone : 1.96… Le téléphone… Quel drôle d’invention n’est ce pas ?
- Je n’en ai jamais utilisé… mais alors vous êtes…
- Je vends des boucheuses, capsuleuses, tireuses, étiqueteuses, rinceuses… Bref, que des machines fondamentales pour l’avenir aviné de l’humanité.

Monsieur Taupin souriait, quand, soudainement, Stichelton arrêta sa marche.

- Aimez-vous le gibier Taupin ?
- Ma foi oui. Plutôt beaucoup même.
- A plume ? A poil ?
- Les deux.
- C’est encore la saison des grousses… Avec de le chance, il peut avoir des ortolans… Vous m’êtes très sympathique Taupin… Que diriez-vous de dîner avec moi ce soir ? Je connais une petite auberge où j’ai mes habitudes...
- Heu… Et bien, je…
- Pardonnez-moi. Je suis très cavalier. Vous devez avoir des obligations..
- Non, non… Pas le moins du monde… Je… Eh bien soit ! Avec plaisir !
- Parfait ! Disons 21h. Le lieu se nomme « Chez Fausto », rue de la petite truanderie. A tantôt Taupin…




Le Vapeur des Vanités


Bonjour et Bienvenue !

Considérez ce blog non pas comme une vitrine de mes diverses actualités, mais bien comme la publication d’un (très très long) texte qui me tient particulièrement à cœur.

Ceux qui ont lu Polpette reconnaîtront ben évidemment une patte, voire des thèmes qui me sont chers. Que voulez-vous… Je n’y peux rien… Peut-être que finalement on écrit toujours la même chose (et avec une syntaxe « bizarre » comme me l’avait souligné un éditeur…).

Alors, oui ! Ca parle d’amitié, de plats mijotés, d’animisme, de non-dit, de pudeur et de désir. Mais cette fois-ci, promis, il n’y aura pas de recettes de cuisine.

Donc, voilà. Le récit sera  mis à jour régulièrement (mouais...), et j’espère que vous aurez envie de continuer, au fil des épisodes, de crapahuter avec mes deux compères que sont Taupin et Stichelton.

Ah ! Et un grand merci à Julien Neel qui m’a fait ce fan art de mes cossards.

Par ailleurs amis auteurs et autres, n’hésitez pas à m’envoyer vos dessins.

Allez, c’est parti pour la balade….