lundi 19 mars 2012

E02


Taupin avait naturellement peur d’être en retard, comme il avait peur d’être trop en avance. Le pire serait d’être à l’heure dite et précise. Stichelton aurait pu croire que le bougre attendait près de la porte, dans le froid… Situation risible s’il en est. Pourquoi n’arrivait-il pas à être un peu naturel ? Pourquoi s’embarrasser de constantes et dispensables préoccupations ? De quoi avait-il peur finalement ?

Quoiqu’il en soit il accélérait son pas et entra dans l’auberge à 20h48. Stichelton n’était pas là.

Un septuagénaire l’accueillit. Il portait encore beau. Vêtu d’une chemise blanche, cravate club au nœud impeccablement réalisé et tablier en toile de jute. Une barbe épaisse et sombre, couvrait son visage lui donnant un air d’artiste rude et intransigeant non sans une certaine forme de préciosité. L’homme l’accueillit avec une chaleur sincère.

- Bonsoir monsieur.
- Je… J’ai rendez-vous pour dîner avec Monsieur Stichelton.
- Très bien. Installez-vous  là…Vous voulez boire quelque chose ?
- Heu…
- Un petit blanc… ? Avec quelques tranches de saucisson… ?
- Soit.

L’auberge ressemblait à une tanière. Refuge improbable et clandestin pour une poignée d’hommes désirant fuir la frénésie de la ville.

Pas plus d’une dizaine de petites tables aux nappes blanches et finement brodées. Quelques tableaux, des portraits, familiaux probablement, étaient  accrochés au mur. Une lumière douce et tamisée ainsi qu’une cheminée, où crépitait doucement trois bûches, complétaient le décorum.

Dans l’âtre était suspendu quelques bêtes, palombes et cailles, suant doucement leurs graisses qui coulaient le long de ficelles pour finalement nourrir de larges tranches de pain qui grillaient tendrement. Trois cocottes reposaient également au coin du feu et divers fumets s’en dégageaient. On pouvait sentir des odeurs de choux, navets, carottes, ventrèche qui se mêlaient intimement les unes aux autres et enrobaient la pièce tel un cocon chaleureux et douillet.

Des bouteilles de divers vins patientaient sur une table avenante. Des vins que certains auraient dit confidentiels, d’autres, plus aptes à la romance, les auraient qualifiés de secrets.

Stichelton entra dans l’auberge, il était en retard de 20 bonnes minutes, mais cela n’avait pas l’air de le chagriner plus que de mesure. Il fit une accolade au septuagénaire, et alla s’asseoir face à Taupin.

- Bonsoir, Taupin. Vous avez trouvé facilement ? J’espère que je ne vous ai pas fait trop attendre…
- Pas le moins du monde, ne vous inquiétez pas… J’aime bien cet endroit...
- Oui, hein…

Stichelton huma la pièce et sortit de sa veste un couteau de poche dont la lame faisait la longueur de sa main. On lui apporta une serviette pliée dans un rond à son nom.

- Biryani ? Qu’est ce qu’il y a ce soir ?
- Le chef nous a préparé un pâté en croûte.
- Parfait. Vous avez des grousses ?
- Non, mais il y a du pigeon en cocotte avec des petits pois ou des palombes rôties.
- Des ortolans ?
- Une douzaine…
- Nous les prenons tous. Sur des croûtons.
- Ca marche.
- Et… Ses effluves flattant mes narines, nous allons prendre de ce Brassica Oleracea qui mijote dans l’âtre… Bien cuit, bien confit et en quantité... Dit Stichelton, tout en nouant sa serviette autour du cou.

Et ils parlèrent. Devisant sur tout et rien.  Ponctuant leur conversation de commentaires sur les mets du repas.

- Mmmh… Il y a de la grive dans le pâté…
- Oui… On sent bien le goût…  Avec une goutte de Chartreuse peut-être… Répondit Taupin.
- Ah oui ! On la sent aussi la Chartreuse…

Outre les plaisirs de la table et ceux de l’évasion procurée par la lecture, ils avaient ceci en commun qu’ils se sentaient appelés par la nostalgie d’une vie qu’ils n’avaient pas eues. L’envie de s’inventer un autre destin.

Leurs âges respectifs leur paraissaient être de plus en plus une notion totalement abstraite. Ils ne savaient dire s’ils étaient trop vieux ou trop jeunes…

Stichelton, dans un bruit de succion, avala les viscères brûlants puis enfourna l’oiseau gros comme son pouce avec un bonheur de curé défroqué et soiffard.

- Vous savez, mon cher Taupin, nous ne sommes pas finis… Nous pouvons encore participer au grand projet…
- Le grand projet ?
- Oui, le vrai, le seul, l’unique !!!
- Et quel est-il ?
- Le savoir mon vieux… Le savoir. Que diriez-vous si nous allions à la découverte de mystères, énigmes, trésors, dont regorge notre monde plongé dans un obscurantisme crasse…
- Mais… De quels trésors vous parlez ?

Stichelton afficha un sourire de circonstance.

- Je vous en parlerai en temps et heure… Mieux ! Je vous montrerai !


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