Taupin
avait naturellement peur d’être en retard, comme il avait peur d’être trop en
avance. Le pire serait d’être à l’heure dite et précise. Stichelton
aurait pu croire que le bougre attendait près de la porte, dans le
froid… Situation risible s’il en est. Pourquoi n’arrivait-il pas à être un peu
naturel ? Pourquoi s’embarrasser de constantes et dispensables
préoccupations ? De quoi avait-il peur finalement ?
Quoiqu’il
en soit il accélérait son pas et entra dans l’auberge à 20h48. Stichelton
n’était pas là.
Un
septuagénaire l’accueillit. Il portait encore beau. Vêtu d’une chemise blanche,
cravate club au nœud impeccablement réalisé et tablier en toile de jute. Une
barbe épaisse et sombre, couvrait son visage lui donnant un air d’artiste rude
et intransigeant non sans une certaine forme de préciosité. L’homme
l’accueillit avec une chaleur sincère.
-
Bonsoir monsieur.
-
Je… J’ai rendez-vous pour dîner avec Monsieur Stichelton.
-
Très bien. Installez-vous là…Vous
voulez boire quelque chose ?
-
Heu…
-
Un petit blanc… ? Avec quelques tranches de saucisson… ?
-
Soit.
L’auberge
ressemblait à une tanière. Refuge improbable et clandestin pour une poignée
d’hommes désirant fuir la frénésie de la ville.
Pas
plus d’une dizaine de petites tables aux nappes blanches et finement brodées.
Quelques tableaux, des portraits, familiaux probablement, étaient accrochés au mur. Une lumière douce et
tamisée ainsi qu’une cheminée, où crépitait doucement trois bûches, complétaient le décorum.
Dans
l’âtre était suspendu quelques bêtes, palombes et cailles, suant doucement
leurs graisses qui coulaient le long de ficelles pour finalement nourrir de
larges tranches de pain qui grillaient tendrement. Trois cocottes reposaient
également au coin du feu et divers fumets s’en dégageaient. On pouvait sentir
des odeurs de choux, navets, carottes, ventrèche qui se mêlaient intimement
les unes aux autres et enrobaient la pièce tel un cocon chaleureux et douillet.
Des
bouteilles de divers vins patientaient sur une table avenante. Des vins que
certains auraient dit confidentiels, d’autres, plus aptes à la romance, les auraient qualifiés de secrets.
Stichelton
entra dans l’auberge, il était en retard de 20 bonnes minutes, mais cela
n’avait pas l’air de le chagriner plus que de mesure. Il fit une accolade au
septuagénaire, et alla s’asseoir face à Taupin.
-
Bonsoir, Taupin. Vous avez trouvé facilement ? J’espère que je ne vous
ai pas fait trop attendre…
-
Pas le moins du monde, ne vous inquiétez pas… J’aime bien cet endroit...
-
Oui, hein…
Stichelton huma la pièce et sortit de sa veste un couteau de poche dont la lame faisait la longueur de sa
main. On lui apporta une serviette pliée dans un rond à son nom.
-
Biryani ? Qu’est ce qu’il y a ce soir ?
-
Le chef nous a préparé un pâté en croûte.
-
Parfait. Vous avez des grousses ?
-
Non, mais il y a du pigeon en cocotte avec des petits pois ou des palombes
rôties.
-
Des ortolans ?
-
Une douzaine…
-
Nous les prenons tous. Sur des croûtons.
-
Ca marche.
-
Et… Ses effluves flattant mes narines, nous allons prendre de ce Brassica
Oleracea qui mijote dans l’âtre… Bien cuit, bien confit et en quantité... Dit
Stichelton, tout en nouant sa serviette autour du cou.
Et
ils parlèrent. Devisant sur tout et rien.
Ponctuant leur conversation de commentaires sur les mets du
repas.
-
Mmmh… Il y a de la grive dans le pâté…
-
Oui… On sent bien le goût… Avec une goutte de Chartreuse peut-être…
Répondit Taupin.
-
Ah oui ! On la sent aussi la Chartreuse…
Outre
les plaisirs de la table et ceux de l’évasion procurée par la lecture, ils
avaient ceci en commun qu’ils se sentaient appelés par la nostalgie d’une vie
qu’ils n’avaient pas eues. L’envie de s’inventer un autre destin.
Leurs
âges respectifs leur paraissaient être de plus en plus une notion totalement
abstraite. Ils ne savaient dire s’ils étaient trop vieux ou trop jeunes…
Stichelton,
dans un bruit de succion, avala les viscères brûlants puis enfourna l’oiseau
gros comme son pouce avec un bonheur de curé défroqué et soiffard.
-
Vous savez, mon cher Taupin, nous ne sommes pas finis… Nous pouvons encore
participer au grand projet…
-
Le grand projet ?
-
Oui, le vrai, le seul, l’unique !!!
-
Et quel est-il ?
-
Le savoir mon vieux… Le savoir. Que diriez-vous si nous allions à la découverte
de mystères, énigmes, trésors, dont regorge
notre monde plongé dans un obscurantisme crasse…
-
Mais… De quels trésors vous parlez ?
Stichelton
afficha un sourire de circonstance.
-
Je vous en parlerai en temps et heure… Mieux ! Je vous montrerai !
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